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23 juin 2010 3 23 /06 /juin /2010 00:46

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40 ans mais plus toutes ses dents

Publié le 31 mai 2008
 (N'oubliez pas le post-scriptum)

L'autre jour, assemblée générale d'une association de journalistes dont je
suis membre, les Journalistes pour la nature et l'écologie (JNE). Pour
l'essentiel, j'y ai fait le pitre avec l'un de mes compères, Marc Giraud,
auteur de plusieurs livres très plaisants, dont Le Kama-Sutra des demoiselles
et Calme plat chez les soles (les deux chez Robert Laffont). Ce sont des livres
qui racontent des histoires étonnantes sur la sexualité des bêtes. Eh oui,
quoi.

À un moment de l'assemblée, j'ai entrepris Thierry Jaccaud, lui aussi JNE et
par ailleurs rédacteur-en-chef de la revue L'Écologiste. Sur quel sujet ?
Celui-là même que je vais vous exposer. En un mot, le mouvement écologiste et
de protection de la nature, en France, est dans une situation de faillite.

De quand date ce mouvement ? De 1969. Avant cette date, le discours sur la
nature et sa protection était la propriété privée des vieilles barbes et des
sociétés savantes. Depuis la fin du 19ème siècle jusqu'à l'après 68 en effet, il
y a eu monopole. Seuls les scientifiques, les naturalistes - et quelques poètes
déjà chevelus - ont pu, ont su évoquer le sort de la planète et de ses
équilibres naturels. Il n'y a pas l'ombre d'un reproche. Le reste de la
société était occupé ailleurs.

Survient mai 1968. Survient du coup une génération en rupture avec ses aînés.
L'écologie, très présente dans la culture underground des États-Unis tout au
long des années soixante, devient chez nous une force intellectuelle et
bientôt sociale. Cette même année 1968 se crée la Fédération française des
sociétés de protection de la nature (FFSPN), qui deviendra en 1990 France
Nature Environnement (FNE). Les professeurs y font toujours la loi, mais cela
ne va pas durer.

Cela ne dure pas, car le réel se manifeste enfin. Décrété en 1963, notre
premier parc national, celui de la Vanoise, est menacé en 1969 d'une
amputation sauvage, pour faire plaisir aux promoteurs d'une station de ski.
Tel est le point de départ, le point zéro. Des centaines de milliers de
personnes signent une pétition portée par une partie notable du tout jeune
mouvement de mai. Et les bagarreurs gagnent, contre l'État.

Le combat pour la Vanoise dope toute une série de grandes associations
régionales, à commencer par la Frapna, mais aussi Bretagne Vivante (alors
Sepnb) ou Alsace nature. À cette époque, la plupart des militants sont de
jeunes enthousiastes, antinucléaires et, osons le gros mot, anticapitalistes.
Presque tous, au fil des ans, feront le choix de la longue marche dans les
institutions.

Je ne juge pas, je vous le jure. Confrontées à une menace qu'elles analysaient
mal, les associations ont tout misé sur la concertation, la discussion et le
rapprochement, dût-il parfois être difficile. Ils ont cru de bonne foi que la
France était le cadre nécessaire et suffisant, que la création du ministère de
l'Environnement en 1971 était une bonne nouvelle, que leurs partenaires locaux
finiraient par jouer le jeu dès lors qu'ils auraient suffisamment été informés.
Mais ils se sont lourdement trompés.

Pendant des décennies, et jusqu'à aujourd'hui, des milliers, des dizaines de
milliers de bénévoles ont investi les structures officielles les plus abstruses
: les commissions départementales d'hygiène, des sites, des déchets, des
carrières, que sais-je ? Ils se sont engloutis, la machine les a intégralement
digérés. Parallèlement, par un processus inévitable, et qui ne met pas en
cause les personnes, les associations se sont institutionnalisées. Elles ont
réclamé des subsides publics, les ont obtenus, et se sont progressivement
enchaînées elles-mêmes.

Aujourd'hui, FNE fédère officiellement 3 000 associations locales, thématiques
ou régionales. C'est un réseau impressionnant, mais le drame est qu'il ne sert
à rien. J'entends déjà les cris, y compris d'amis, et qu'on me pardonne, mais
je persiste : à rien.
Je sais la quantité d'efforts consentie, ou plutôt, je l'imagine (mal). Des
centaines de milliers de soirées ont été offertes en cadeau à la société, mais
allons de suite au résultat, cela m'évitera d'être méchant.

En 1969, par aveuglement, nul ne comprenait. L'affaire de la Vanoise est
d'ailleurs symptomatique. Le mouvement naissant croyait qu'il fallait, qu'il
suffisait d'aligner des victoires locales pour inverser le courant général. On
gagnerait dans la montagne, puis dans la plaine, puis sur la mer, etc. La
pédagogie ferait le reste. Nul ne voyait la nature des forces en présence, et
le caractère connecté, écosystémique, global des menaces sur la vie.

Ce mouvement s'est alors engagé dans une impasse totale, en traitant chaque
jour avec des acteurs inconscients, mais imposants, de la destruction du
monde. Et ces derniers ont gagné, car ils étaient la force, tandis que le
mouvement s'est enlisé, épuisé, avant de s'arrêter au bas d'une côte qu'il ne
montera jamais.

Qui oserait me dire que la situation générale est meilleure qu'en 1969 ? Qui ?
Nous sommes passés d'une situation inquiétante à un état du monde angoissant.
Tous les grands équilibres - de la planète, pas de notre minuscule pays - sont
proches d'un point de rupture qui peut nous mener au chaos général. Et FNE
continue de siéger, impavide, dans toutes les structures que l'État, son
financier principal, lui désigne. Je viens de lire une « lettre » de FNE à
notre président Sarkozy sur les biocarburants, que je juge déshonorante pour
nous tous (ici). Usant de tournures alambiquées, ce texte, qui aborde la
question de la faim de manière incidente, ne réclame même pas l'arrêt des
subventions françaises à cette industrie criminelle. Nous en sommes là ! Pas
question de mordre la main qui vous nourrit.

Bien entendu, ce bilan calamiteux ne se limite pas à FNE. Un jour peut-être,
la véritable histoire du WWF sera écrite. Et ce jour-là, la surprise sera au
programme, croyez-moi. Car cette association internationale financée par
l'industrie n'aura cessé de chercher et de trouver des accommodements avec les
pires transnationales. Par exemple en osant « vendre » à la société l'idée
d'un usage soutenable du bois tropical. Ou du soja. Ou des biocarburants.
Cette politique-là est simplement scandaleuse, et tout le monde se tait. Mais
pas moi.

Disant cela, je n'oublie pas que d'authentiques écologistes, dont certains
sont des amis, travaillent pour le WWF. Je ne les cite pas, car je ne veux pas
les mettre dans l'embarras. Et je ne souhaite pas même qu'ils quittent
l'association, car ils y font malgré tout un travail utile. Mais enfin,
regardons les choses en face : le WWF accompagne la marche à l'abîme des
sociétés humaines et du vivant.

Greenpeace ? J'ai été membre du Conseil statutaire de ce groupe pendant des
années. Ne me demandez pas ce que c'est, car je l'ignore. Pour moi, cela
signifiait participer à des réunions inutiles, une à deux fois par an. Ce qui
me reste de Greenpeace, c'est que j'y compte des proches, à commencer par ma
chère Katia Kanas, présidente actuelle en France. Et alors ? Et alors,
Greenpeace a suivi une pente redoutable, et peut-être inévitable. Les
sociologues qui étudient l'histoire des associations parlent classiquement de
deux phases. La première, dite « charismatique », est celle des fondateurs et
de l'exaltation. La suivante est celle de « l'institutionnalisation ». Nous y
sommes.

Pour ce que j'ai pu voir, Greenpeace n'est plus. Les cinglés de 1971 voguaient
à bord du Phyllis Cormack en direction de l'Alaska, pour y occuper le site des
essais nucléaires américains. Ceux d'aujourd'hui gèrent la manne du
fundraising, méthode éprouvée pour récolter du fric auprès de millions de
donateurs. Certes, et ce n'est pas rien, Greenpeace ne dépend ni de l'État ni
de l'industrie. Mais ses cadres supérieurs, souvent recrutés par petite
annonce hors du mouvement écologiste, sont des cadres supérieurs. Et
Greenpeace-France est une PME de l'écologie, tristement incapable, par
exemple, de mener la bagarre pourtant essentielle contre les biocaburants.
Dieu sait pourtant que je les y ai invités !

Toutes les tendances de cette écologie officielle, plus quelques autres que je
n'ai pas le temps de citer, se sont retrouvés à la table de Borloo et
Kosciuko-Morizet l'automne dernier. Je veux parler du Grenelle de
l'Environnement, bien sûr. À cette occasion, le mouvement a montré où il en
était, c'est-à-dire au même point qu'en 1969. C'est-à-dire bien plus bas en
réalité. Car c'est une chose de croire au Père Noël quand on est un gosse qui
découvre le monde. Et une autre quand on approche des quarante ans.

Ce mouvement aura bientôt quarante ans, en effet, et c'est le mien. Ma famille.
Je ne suis pas partisan de la table rase, qui n'est que fantasme. Mais
d'évidence, il est temps de faire un bilan. Selon moi, il est limpide : nous
avons échoué, tous, à empêcher l'emballement de la machine à détruire la vie.
Il est donc certain que les moyens utilisés ne sont pas adaptés au seul
objectif qui vaille. Je ne crois pas, en effet, qu'on puisse se contenter de
risettes de Borloo, de bises de Kosciucko et de passages à la télé. À moins
que je sois le roi des imbéciles, et que personne ne m'ait prévenu du
changement de programme ?

Nous avons échoué, soyons sérieux. Il faut le dire, il faut l'écrire, il faut
même le proclamer. Sur cette base-là, essentielle, il s'agira de reconstruire
un mouvement différent, plus fort, plus conquérant, partant avec ceux qui le
voudront à l'assaut du ciel, pour la restauration du monde vivant. Je vous
lance donc, je me lance aussi, bien sûr, un appel au sursaut. Arrêtons la
dégringolade. Ouvrons les yeux, fermons la télé, et osons dire cette évidence
que le roi écologiste est nu. Pour commencer.

PS : Exceptionnellement, je vous demande de diffuser ce qui est bel et bien un
appel à tous les réseaux de votre connaissance. Je ne prétends pas avoir
raison, mais je suis certain que nous avons besoin d'un grand débat. Et donc,
je vous en prie, faites circuler. Merci.

Publié dans Mouvement écologiste, Politique

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